Carole and Tuesday : que vaut la nouvelle série du créateur de Cowboy Bebop, disponible sur Netflix ?

Cela faisait 5 ans qu'on attendait la nouvelle série de Shinichiro Watanabe, le créateur de Cowboy Bebop. Cinq ans depuis son âpre et rude Terror in Resonance. Cinq ans pour revenir avec de la musique, de la SF, de l'humour, bref, tout ce pour quoi on l'aime. Cinq ans, donc, pour découvrir Carole & Tuesday.

En vingt ans de carrière, Carole and Tuesday avec la plus grande impatience.

 

 

PAROLES ET MUSIQUES

Pour ne pas changer les bonnes vieilles habitudes, Carole and Tuesday nous plonge en pleine science-fiction typique des oeuvres de Watanabe. À savoir, un monde qui se remet doucement d'un gros changement en profondeur, d'une perte de repères et qui tente de se reconstruire alors même que la société qui en est issue se montre impitoyable.

Cinquante ans après sa migration sur Mars, l'Humanité a fait le choix de se laisser diriger par l'intelligence artificielle. Surtout dans le domaine de la culture d'ailleurs, ce qui entraine une certaine ivité dans la consommation de cette dernière tout comme la production constante de produits ultra-calibrés à courte durée de vie. C'est dans ce contexte que nous faisons connaissance avec deux jeunes femmes que tout oppose.

 

Premier boeuf, première révélation

 

Carole, tout d'abord, musicienne qui tente de percer et qui travaille à mi-temps dans un magasin, utilisant sa grande réserve comme un appartement, vivant de façon bohème, très ancrée dans la réalité et ses difficultés. Et puis, il y a Tuesday, jeune fille bourgeoise au destin tout tracé qui rêve d'un ailleurs mélodieux et qui décide de se faire la malle contre l'avis de sa puissante famille. De leur rencontre hasardeuse, une amitié va se nouer, puis un duo, qui risque de marquer le monde des Arts de façon indélébile en dépit des énormes difficultés qui se dresseront sur leur route.

 

Malgré l'omniprésence de la technologie, c'est bien l'humain qui touche encore

 

LA MUSIQUE DU COEUR

On le voit, tous les tropes de l'auteur sont présents dans Carole and Tuesday : une ambiance cool et relax qui cache une profonde mélancolie existentielle, des personnages hauts en couleur et marginaux, la prédominance de la musique et un humour bien spécifique parfois à la limite du cynisme. Pourtant, dans les détails, cette nouvelle série s'avère très différente des précédentes.

Carole and Tuesday, quant à elle, nous parle avant tout d'espoir, de rêve, d'accomplissement et de confrontation aux contingences de la réalité.

 

Un manager prêt à tout pour connaitre le succès

 

Nos deux jeunes héroïnes pourraient être considérées comme des héros de Watanabe dans leurs jeunes années, lorsque leurs illusions n'ont pas encore volé en éclats et que le désenchantement n'a pas encore pris le pouvoir sur l'espoir. En résulte une série très solaire, en dépit d'un fond dramatique, tout autant qu'une parabole sur nos sociétés actuelles à l'heure d'une industrialisation rapide et carnassière de notre culture.

Avec sa série, Watanabe attaque à boulets rouges le prêt à penser, le facile à consommer, la culture de masse vide de substance et d'humanité. Il en appelle à un retour à une certaine authenticité, l'émergence de quelque chose que l'on pense perdu, une forme d'émerveillement et d'inconscience, tout en glorifiant comme d'habitude, la marginalité requise pour y parvenir. Seulement, Watanabe n'est pas dupe et ne propose pas non plus de solution toute faite ou un discours fatalement moralisateur.

 

Pas de succès sans bon community manager

 

L'ambition et les rêves n'effacent pas la dureté du monde et les épreuves, le côté David contre Goliath d'une existence vouée à l'art, la confrontation avec une foule rééduquée, rassurée par des productions prémâchées et faciles d'accès.

Si, dès le départ, l'issue est claire pour nos deux héroïnes, l'intérêt de Carole and Tuesday est bel et bien de découvrir comment vont-elles y parvenir, quelles épreuves vont-elles devoir surmonter et ce que cela changera en elles ? Seront-elles les mêmes ? Leurs rêves seront-ils intacts ou bien alors, les compromis exigés vont-ils les mettre à mal ? Nous verrons bien.

 

Angela Voice, pur produit de consommation en phase de rébellion

 

LET'S DUET

On en vient alors à considérer Carole and Tuesday comme une oeuvre essentielle de notre époque dans ce qu'elle raconte de nous. Dans ce pacte social qu'on nous impose et qui nous enferme dans une certaine façon de penser. Dans cette nécessité absolue de toujours se battre pour exister, quel qu'en soit le prix ou la difficulté. Bref, d'en revenir à l'essentiel.

À travers sa société policée, mais morte à l'intérieur, Watanabe nous encourage à l'audace, à l'insouciance, au courage aussi de prendre en main notre destin, de succomber à ce qui nous fait vibrer et de ne jamais le remettre en question. Déant les barrières culturelles et ethniques (écho à une culture commune pour tout le monde, ce qui nous pend au nez), Carole et Tuesday en reviennent à une vérité existentielle primordiale.

 

Fuir, toujours fuir, en rêvant d'un ailleurs meilleur

 

Cet universalisme mercantile n'est qu'un écran de fumée, un moyen d'oppression soft, de contrôle et d'enfermement, tandis que le vrai universalisme, et le vrai humanisme, se construit et se vit à un niveau plus local et individuel, dans la complémentarité des talents, l'envie de partage et de construction. Et surtout, en faisant confiance à son coeur, avant toute chose. Comme pour nous dire que ce qui nous anime ne répond pas à une forme de normalisation sociale et culturelle, que l'humain est bien plus riche lorsqu'il s'écoute et qu'il est plus que temps de lui prêter l'oreille.

Carole and Tuesday comptera 24 épisodes et les 12 premiers sont d'ores et déjà disponibles sur Netflix.