Le seul Mr. Freeze capable de vous faire fondre, c’est J.J. Abrams à son mentor Steven Spielberg.
Tête brûlée, chien fou, électron libre, les dénominatifs ne manquent pas pour qualifier Mel Gibson. Depuis ses tous premiers pas au cinéma, la star agitée des sagas Mad Max et L’Arme fatale n’a eu de cesse de déchaîner les ions, à l’écran comme à la ville. Et c’est sans doute ce tempérament tout feu tout flamme, allié à sa ferveur religieuse (qui n’aura évidemment échappé à personne, ou alors on veut des noms), qui lui a sans doute permis de se réinventer en doux rêveur romantique dans Forever young.
Produit par Warner Bros, le film est tiré d’une histoire originale de J.J. Abrams, qui en signera lui-même le scénario, après avoir cédé les droits cinématographiques au prix fort : 2 millions de dollars. Et s’il ne faut pas minorer l’apport du réalisateur, Steve Miner, artisan plutôt doué dans le giron de l’horreur, on sait pertinemment pourquoi Forever young se réclame autant de l’hommage au cinéma de Steven Spielberg (oui, c’est bien au futur papa de Super 8 auquel on fait allusion).
HIBERNATUS, LE RETOUR
Assez peu exploité au cinéma à l’inverse de certains autres gimmicks chers aux auteurs de science-fiction (au hasard : le clonage, l’intelligence artificielle, l’invasion extra-terrestre, etc.), la cryogénisation ne sert souvent que de simple décorum. Heureusement, une poignée de films en ont fait un élément central de leur intrigue, Demolition Man en tête bien sûr, ainsi que Forever young, sorti quelques mois plus tôt (on pourrait aussi citer Jason X, mais ce serait ouvrir la porte aux pires nanars de l’espace).
On retrouve donc ici l’ami Mel, en 1939, dans la peau du pilote d’essai casse-cou Daniel McCormick (un rôle taillé sur mesure, de toute évidence). Hélas, ce chevalier du ciel tombe de haut lorsque sa bien-aimée Helen sombre dans le coma après avoir été renversée. En désespoir de cause, Daniel se porte volontaire auprès de son meilleur ami chercheur pour devenir le premier cobaye humain de son expérience de cryogénisation, et réussir à patienter jusqu’au réveil de sa chère et tendre. Mais un incident se produit et le pauvre n’émerge à nouveau qu’en 1992.
Faux film de voyage dans le temps, Forever young n’en adopte pas moins tous les ressorts du genre, catapultant son héros à une époque non pas antérieure, mais ultérieure à la sienne. Au lieu de composer avec les aléas du Moyen-âge (Evil Dead 3 : L’Armée des ténèbres et Prisonniers du temps s’en chargeront) ou de toute autre période révolue, Daniel se retrouve confronté à la modernité. C’est l’occasion pour Abrams de multiplier au scénario les indices anachroniques et les décalages de perception, transformant une messagerie vocale et un écran de télévision en curiosités XXL aux yeux du personnage principal.
C’est au fond le propre de tout bon visiteur venu d’ailleurs, s’émerveillant ou s’interrogeant à chaque petite divergence générationnelle, voire civilisationnelle. D'une certaine façon, Daniel n’est pas très différent du E.T. de Spielberg, d’autant que la technologie l’aide à la fois à s’éduquer au monde qui l’entoure et à poursuivre un but bien précis. On se rappelle tous de la fameuse réplique "E.T., téléphone maison", et en soi, Forever young fait aussi de son protagoniste un adepte de la boîte à outils, vouant un culte à la machine.
"Servez-moi votre alcool le plus fort, j’ai besoin d’un remontant"
LE GUIDE DU SAUVEUR GIBSON
S’il y a bien un lien direct à tisser entre ce film et le cinéma de tonton Steven, c’est dans la figure même de père de famille que devient peu à peu Daniel. Revenu en quelque sorte d’entre les morts grâce au jeune Nat (Elijah Wood, à l’aube de sa carrière), le héros trouve le moyen d’être hébergé chez la maman du petit garçon, Claire (Jamie Lee Curtis), et occupe bientôt sans le vouloir la fonction d’homme de la maison. Une responsabilité qui incombe souvent aux laissés-pour-compte (on pense notamment au ferrailleur Dean dans Le Géant de fer, un autre exemple sous influence spielbergienne).
Forever young abandonne alors momentanément le strict récit de science-fiction au profit de la chronique familiale, visant d’abord à raconter la reconsécration d’une idole, autrefois pilote remarquable, aujourd’hui simple vagabond pouvant redorer son blason au d’un foyer de substitution. Il n’y a qu’à voir ces deux scènes d’initiation au vol au cours desquelles Daniel forme le jeune Nat, d’abord au moyen d’un bric-à-brac confectionné de toutes pièces, puis en situation réelle ensuite, c’est-à-dire dans les airs (après tout, il n’y a pas d’âge pour prendre les commandes).
On commence petit, et on finit grand
Il n’est jamais question que d’une chose ici : savoir voler de ses propres ailes. Et c’est l’enseignement que tous les personnages acceptent d’intégrer et d’appliquer in fine. Autrement dit, le rêve est possible à qui transmet et reçoit. Une chaîne vertueuse de sachants et d’apprenants qui renvoie à la grande marotte des productions de la firme Amblin, mettant en scène des rêveurs nés se hissant au firmament à la faveur d’un héritage aussi bien matériel que spirituel.
En un sens, on pourrait prêter une lecture religieuse au film, le caisson de cryogénisation faisant office de tombeau, de même que Daniel s’en extraie à la façon du Christ ressuscité. Et dès lors, il n’a de cesse de susciter autour de lui mystère et fascination, en même temps qu’il réhabilite un visage tristement absent, celui du père pour Nat et du partenaire de vie pour Claire, afin d’achever sa mission rédemptrice. Oui, vraiment tout y est, et on imagine bien que c’est une des raisons pour lesquelles Gibson a ret le projet.
Mel et ses apôtres, peut-être rassemblés pour un tout dernier repas
DEUIL ET RÉPARATION
Dans une décennie de cinéma (les années 1990) qui amorcera le virage résolument cynique d’Hollywood, Forever young revendique un premier degré déjà un rien désuet. D’où une forme d’adéquation parfaite avec la veine mélodramatique du film, empruntée à d’autres modèles du genre, Starman et bien sûr Always, eux aussi un peu chahutés à l’époque de leur sortie pour avoir fait pleurer dans les chaumières, au lieu de poursuivre des ambitions jugées plus nobles.
Difficile de nier pour autant les débordements kitschissimes de certaines scènes filmées au ralenti, avec Billie Holiday (le morceau The Very Thought of You servant de leitmotiv musical) ou la partition très langoureuse de Jerry Goldsmith en fond sonore. De même que la photographie aux tons pastel voire sépia, surtout durant toute la première partie en 1939, procure un sentiment de nostalgie assez envahissant, mais on ne peut plus raccord avec le thème du deuil et de la séparation amoureuse, central ici.
Il y a de l’amour dans l’air (et tant pis pour l’odeur de naphtaline)
Tout Forever young est marqué du sceau de la perte, de l’absence, du temps qui e, et cette amertume renvoie avant l’heure aux déboires que connaîtra Gibson à la ville, entre son addiction à l’alcool, à la nicotine, ou son divorce retentissant avec son épouse. Des évènements qui ont poussé l’acteur à mettre plus d’une fois en pause sa carrière (après Signes, il préfèrera se trouver derrière la caméra plutôt que devant), alimentant cette image de loup solitaire en proie à ses vieux démons.
Dès lors, le rôle de Daniel angélise Gibson à un stade quasi-terminal, faisant de lui un saint-homme dont la quête d’absolu est couronnée de succès en bout de course. Une sorte de revanche sur le réel qui est aussi le propre du merveilleux au cinéma, apte à infléchir positivement le destin contrarié de ses héros. Abrams l’a très bien compris et si on peut lui reprocher de réciter un peu sagement la leçon de son maître à penser, il reste l’un des rares à le faire aussi bien.
Biberonné à la sève même du cinéma de Steven Spielberg, Forever young gagne bien à être revu comme cette madeleine de Proust douce-amère, à la fois témoignage d’un âge d’or révolu et réinvention du divin enfant terrible, Mel Gibson. En parallèle, l’acteur endossera pour la première fois la casquette de cinéaste, en réalisant L’Homme sans visage, pour continuer d’asseoir sa place de star toujours plus insaisissable et sur la brèche.
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Thanks pour cet article
Un film qui m’a marqué à l’époque. Une époque où Mad Max/Martin Riggs pouvait tout jouer. En revanche vous m’apprenez que c’est ce JJ Abrams ( que je déteste au age) qui a signé ce scenario touchant.
Et voir William Wallace et Frodon dans le même film ça n’a pas de prix.