Films

Le Sous-sol de la peur : et si c’était le meilleur film du père de Freddy et Scream ?

Par Simon Riaux
5 juillet 2020
MAJ : 21 mai 2024
Le Sous-sol de la peur : Photo

Scream... La carrière du grand Wes Craven fut jalonnée d’œuvres cultes et de succès mortels. Et si son plus grand film était un de ses moins connus ? 

Réalisateur adulé par plusieurs générations de cinéphiles, il aura engendré plusieurs boogeymen de légende, mais aussi contribué à faire bouger les lignes de la représentation de la violence, et tout simplement abonder la pop culture en images inoubliables. Alors qu’Hollywood a déjà remaké avec plus ou moins de succès certains de ses grands succès, ou prévoit de leur addre des suites, on n’entend pour ainsi dire plus parler du Sous-sol de la peur

Accueilli avec une grande tiédeur, perçu comme un film inclassable au discours politique bourrin, mais maladroit, le film, s’il a fait les beaux jours des écumeurs de vidéoclubs est tombé dans un relatif oubli. Alors que les questions des rapports de domination au sein des sociétés occidentales, ainsi que la représentation des minorités éclatent au sein du débat public, il semble pertinent de réévaluer le film. 

 

affiche françaiseUn titre français un peu épais

 

CHAOS DEBOUT 

Un drame social, qui vire soudain au home invasion inversé, puis à la traque voisine du slasher, avant de basculer dans une horreur grand-guignol et vengeresse le temps d’un dernier acte dément, le tout saupoudré d’un romantisme candide plutôt rare chez son auteur. Voilà un programme roboratif, en apparence complètement cinglé, qui rend presque impossible de connecter le film à un genre donné. 

Il faut dire que Wes Craven s’est autorisé un récit à tiroir qui feint de partir en tous sens. Pour ses 13 ans, Fool décide de cambrioler la demeure des propriétaires de son logement, couple impitoyable et mal-intentionné. Mais il se retrouve bientôt prisonnier de leur gigantesque maison, aux côtés de leur fille, maltraitée avec une constance qui force le respect. Alors que tous deux explorent la demeure et ses pièges en tentant d’échapper au couple ultra-violent, ils vont mettre à jour une série de secrets tous plus abominables les uns que les autres. 

Et voilà seulement une partie de cette invraisemblable turbine horrifique, qui ne laisse littéralement pas une seconde de répit à son spectateur. Car le cinéaste use de nombreux points de rupture, habituant le public à un ingrédient donné, pour mieux le lui retirer ou modifier la nature. Le récit démarre comme un buddy movie ? Un de nos héros sera bientôt massacré sous nos yeux. La jeunesse de Fool paraît destiner le métrage à une forme bon-enfant de divertissement ? L’ado apprendra bientôt ce que signifient l’horreur et la peur. Les méchants sont un couple de bourgeois ? Ils se transformeront bientôt en psychopathes sado-masos option cuir de vachettes, dans une orgie de meurtres incontrôlables. 

 

photoIntérieur cuir

 

Impossible de savoir sur quel pied danser. Et cette valse des motifs, des thèmes, vaut aussi pour la direction artistique de l’ensemble. La vision du ghetto s’efface derrière le simulacre de la vieille bâtisse et son fantasme de classe supérieure. Mais cette dernière se déplie pour offrir un véritable musée des horreurs, puis un dédale à Evil Dead. Enfin, quand le scénario dévoile la réalité de ceux qui vivent sous l’escalier (d’où le titre original, The People Under the Stairs), on jurerait que les comédiens d’une antique sitcom envahissent l’écran, la tronche enfarinée, toujours encadrée d’un navrant brushing. 

D’une richesse invraisemblable, le scénario, la mise en scène et la direction artistique tiennent ensemble grâce au talent de Craven, qui utilise là d’une formule qu’il a déjà explorée au cours de sa carrière : celle du conte. 

 

photo, Brandon Quintin AdamsFool, grain de sable dans les rouages d'une famille... particulière

 

CONTE DÉFAIT  

Étudiant en littérature puis enseignant en sciences humaines à la faculté de Baltimore, Wes Craven est un amateur d’art dont les goûts l’ont porté bien au-delà des frontières du cinéma, et la figure du conte est prégnante dans ses films, y compris les plus sombres. Dès La Dernière maison sur la gauche, il mettait aux prises des personnages innocents avec de grands méchants loups et injectait dans son intrigue horrifique quantité de motifs issus de cette forme ancienne de narration. 

Les Griffes de la nuit prolongeait encore cette idée, en se plaçant directement du côté des rêves, mais aussi de la transmission orale des légendes et de leur capacité à inf jusque dans notre réalité. Mais c’est peut-être avec Le Sous-Sol de la Peur que le cinéaste en épouse le plus volontiers les contours. En choisissant pour protagonistes des enfants, en transformant à mi-parcours ses personnages en véritables ogres de foire, et en métamorphosant progressivement son décor principal en une sorte de château cauchemardesque, il déréalise partiellement son intrigue et nous précipite dans un univers fantasmagorique qui lui autorise toutes les outrances. 

 

photoUn chaperon très rouge

 

Dès lors, le film peut se lire certes comme un film d’horreur, mais toujours un conte, dont chaque identité remarquable serait devenue folle et parfaitement incontrôlable. Et si chaque articulation de cet univers semble le plonger plus profondément en absurdie, cette dernière lui confère paradoxalement sa cohérence, car plus nous progressons dans la démence, plus cet univers se rapproche de l’allégorie, de la métaphore, et nous permet de comprendre en quoi les sursauts de folie des protagonistes font écho à notre réalité. 

De même, les multiples ages secrets, pièges et couloirs dérobés qui parsèment le décor fonctionnent aussi comme un dispositif analytique. Ils nous dévoilent constamment la nature artificielle des lieux, et nous invitent à questionner la nature de ce qui est raconté. Comme le conte visait jadis à proposer une vision morale du monde et à en souligner tant les zones d’ombre que les dangers supposés, l’histoire proposée par Craven, pour violemment surréaliste qu’elle soit, a pour ambition de décoder la société qui l’a produite. 

 

photo, Wendy RobieLes enfants, souvent rétifs aux bases de l'hygiène

 

CAUCHEMAR VISIONNAIRE ? 

Trois mois après la sortie du Sous-sol de La Peur, la ville de Los Angeles sera le théâtre d’émeutes consécutives aux violences policières exercées à l’encontre d‘un citoyen afro-américain, Rodney King, et à l’acquittement des quatre policiers blancs mis en accusation. é inaperçu au box-office, le long-métrage de Wes Craven ne sera pas appréhendé comme une œuvre particulièrement en phase avec son époque, malgré la proximité de sa sortie et cette explosion de tensions. Rétrospectivement, cette non-reconnaissance n’apparaît pas si absurde, tant l’intrigue et ses symboles semblent annoncer le monde d’après. 

En effet, Le Sous-sol de La Peur, à bien y regarder, ne représente pas tant une classe dominante blanche qui exercerait un pouvoir vertical sur des groupes minoritaires, que les ruines de cette dernière. Le couple pervers qui fait subir moult exactions à son voisinage, possède encore les oripeaux du pouvoir, mais se voit perpétuellement tourné en ridicule, alors que ses accès névrotiques ou meurtriers se font jour. Certes, leur dangerosité point régulièrement et une tripotée de personnages en font les frais, mais plus l’intrigue se déroule, plus les tentatives de nettoyer les gerbes de sang frais, plus les accoutrements SM dévoilent leur part de non-sens, leur propension au ridicule. 

 

photo, Wendy Robie, Everett McGillDe grands méchants infiniment pathétiques

 

Le couple psychotique du métrage a bien plus à voir avec les ridicules précieux qui se livrent à des transplantations cérébrales dans 12 Years a Slave. Avec une acuité étonnante, Wes Craven annonce les soubresauts culturels d’une société dont les dominants sont sur le point de renverser les principes, ou plutôt de mettre à jour leurs faiblesses. 

Accrochés à des privilèges qui semblent terriblement anecdotiques ou déés, nos deux tarés de service ne peuvent plus tenir les digues de leur rang, et l’emballement de violence auquel ils s’abandonnent n’a aucune chance de les protéger de la révolte qui gronde. Organiquement et symboliquement, ils finiront consumés, submergés par leurs crimes és, maintenus sous terre, mais bien vivants. 

Difficile devant ce portrait acide et assez réjouissant d’une révolution plutôt salutaire de ne pas être diverti par le talent et l’énergie de Wes Craven, mais surtout frappé par la simplicité avec laquelle il décrit un monde au bord d’un grand bouleversement. Et c’est peut-être ce dernier aspect du Sous-sol de La Peur qui achève de lui conférer une aura si singulière. 

 

photo, Wendy RobieUn film qui tranche avec la production de son époque

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Nico1
Nico1
il y a 4 années

Tout à fait d’accord avec @Numberz

clarence bodicker
clarence bodicker
il y a 4 années

Les idées sont excellentes, MAIS malheureusement aucun suspense, aucune frousse, j’ai essayé mainte fois de revenir sur un film que je pensais ne pas avoir compris ni décrypter l’essence… un bon telefilm ni plus ni moins. Affaires classées

Cooper
Cooper
il y a 4 années

Vu gamin dans  » les jeudi de l’angoisse », il m’avait marqué, ça fais longtemps que j’ai envie de le revoir.

Dai
Dai
il y a 4 années

Une bonne claque a sa sortie… Il me hante encore

Numberz
Numberz
il y a 4 années

Pour moi, c’est pas son meilleur, c’est son moins pire.

J’adore Freddy, mais le premier n’est pas mon préféré et scream, je trouve que cela vieilli b.