Films

Sister Midnight : critique d’une histoire grotesque et sérieuse

Par Judith Beauvallet
12 juin 2025

Radhika Apte, actrice très prolifique du petit et grand écran en Inde), qui doit faire face à la réalité d’un quotidien miséreux au sein d’un mariage arrangé dans les quartiers pauvres de Mumbai. Mais ni Uma ni son mari (Ashok Pathak) ne sont à l’aise dans cette vie qui ne leur ressemble pas, et la jeune épouse va progressivement se découvrir d’étranges pouvoirs à force de laisser libre cours à sa douce folie.

© Capricci Films

L’horreur du quotidien

Sister Midnight s’ouvre sur une scène muette qui en dit à elle seule très long sur le postulat du film. Un jeune homme et une jeune femme, en habits d’apparat, s’assoient lourdement sur le lit de fortune d’une petite pièce insalubre. Ils se couchent sans se regarder et encore moins se toucher. C’est la triste nuit de noces de deux personnes inadéquates à leur milieu, dont des parents se seront mutuellement débarrassés en les mariant.

La routine commence : tandis que le mari préfère fuir son quotidien et ses responsabilités en traînant au lit ou dans la rue, Uma essaye vainement de se mettre à la cuisine et au ménage, et comprend très vite qu’elle n’arrivera jamais à tenir le rôle d’une épouse traditionnelle. Sister Midnight interroge l’absurdité des mariages arrangés non pas dans un axe excessivement cruel et sensationnaliste, mais dans celui de l’insipidité totale. Il ne s’y e pas de violence, mais il ne s’y e terriblement rien tout court. Pas assez pour rester, pas assez pour fuir.

sister midnight Radhika Apte
Une nuit de noces qui commence fort

Uma et son mari sont comme deux bambins à qui on aurait donné une équation complexe à résoudre, avec une alliance pour seul outil. De là découle une étude de la solitude, celle qui survient même (surtout ?) lorsqu’on n’est jamais seul et que la vie privée n’existe pas. Uma ne peut comprendre ses semblables, tous pauvres, qui s’obstinent pourtant à reproduire et vivre selon des schémas sociétaux traditionnels qui ne correspondent pas à leur cadre de vie.

Il n’en faut pas plus à la jeune femme pour être de plus en plus submergée par ses pulsions, ses impolitesses sans filtre, ses gestes brusques, ses envies de marcher des kilomètres en pleine nuit, et tout ce qui fait qu’elle apparaît de plus en plus folle aux yeux de son entourage. Mais quel est le premier de l’œuf ou de la poule ? Les troubles d’Uma, ou le rôle aliénant qu’on lui demande de tenir ? Au fond, peu importe.

Radhika Apte Sister Midnight
De magnifiques bijoux qui dissimulent mal la misère environnante

Minuit à sa porte

Toute la première partie qui établit ces thématiques déstabilise un peu, non seulement par son ton aussi franc et dépouillé que les répliques d’Uma, mais aussi par sa lenteur. La photographie fauchée, qui se repose sur la beauté des couleurs du décor mais qui souffre de limites techniques, donne une certaine étrangeté à l’image. Pour bien faire sentir le temps qui e et dans lequel Uma craint de s’enliser tout doucement, la narration se fait au ralenti et se préoccupe peu, dans un premier temps, de donner à manger au spectateur.

L’ennui d’Uma devient celui du public, et peut-être un peu trop par moments. Petit à petit, les journées ées à piétiner dans la poussière sous le soleil se changent en nuits interminables au cours desquelles l’héroïnes va se créer une histoire parallèle faite d’errances nocturnes. Elle se dégote un travail de technicienne de surface dans des bureaux qu’elle va vaguement récurer la nuit, quitte à s’y rendre et à en revenir en marchant pendant des heures, ou en squattant le transport de son collègue.

sister midnight Radhika Apte
Ok, elle a quand même une voisine sympa

Pendant ces longs moments, Uma peut savourer le silence et l’absence totale de représentation (on pense à la magie de ce plan large qui montre ce lever de jour sur le toit de l’immeuble où l’héroïne et son collègue ont é la nuit, à l’abri de tout), et il semblerait que ce soit ce qui lui permette de développer, petit à petit, un pouvoir particulier.

C’est alors que Sister Midnight sort de sa douce torpeur envoûtante pour basculer dans l’inattendu. Dans sa deuxième partie, alors que le film raconte comment la jeune femme se découvre le pouvoir de ramener à la vie des animaux qu’elle a tués, tout devient plus étonnant, plus magique, plus grotesque aussi. Et surtout incroyablement inventif.

sister midnight Radhika Apte
Uma devenue gothique

Vampire, vous avez dit sorcière ?

Uma, au maximum de ses pulsions violentes et d’une faim insatiable qu’elle ne peut identifier, décide un beau jour d’égorger une chèvre avec les dents (ne faites pas ça chez vous). Mais, surprise : quelques temps plus tard, la chèvre revit, et elle semble même plus joyeuse, énergique et affectueuse qu’avant. Au détail près qu’elle bouge bizarrement, un peu comme si elle était animée en stop-motion.

Uma décide alors de tester son pouvoir sur davantage de créatures, et toutes ces bestioles zombies, ultra-énergiques, deviennent comme des petits personnages des Looney Tunes qui viennent complètement décaler le ton (déjà bien décalé) du film. Comme les choses deviennent un peu effrayantes, elles deviennent aussi plus drôles et toujours plus déstabilisantes. Le cinéaste réinvente et fait s’accoupler le mythe de la sorcière et celui du vampire à travers le portrait de cette femme qui, alors qu’elle se révèle de plus en plus à elle-même, devient beaucoup trop suspecte aux yeux de ses voisins.

sister midnight Radhika Apte
Uma redevient petit à petit un pur élément de la nature

Alors qu’Uma ira trop loin pour tester les limites de son pouvoir, portée par un désir d’amour, elle déera la conception du bien et du mal. Des notions finalement vides de sens dans ce quotidien abrutissant où le bon sens et la recherche du bonheur ont fait place à une obéissance aveugle à… on ne sait même plus quoi. Sister Midnight reprend, à l’instar de nombreux films récents comme The Witch ou She Will, l’idée que la sorcière est avant tout une femme libre qui se retrouve punie pour son indépendance ou sa rébellion, quitte à être petit à petit changée en vraie sorcière précisément par ceux qui la redoutent.

Mais Sister Midnight se démarque par le caractère jamais précis ni définitif de sa magie (Uma est-elle, sorcière, vampire, démon, ou juste une femme normale qui débloque un peu ?) et de son message (la vie qu’elle crée à travers la mort est-elle une bonne chose ou un mauvais présage ?). Ce qui ne fait aucun doute, en revanche, c’est la créativité folle d’un film qui, tout comme son personnage, ne va jamais là où on l’attend, et refuse d’obéir au moindre modèle. Une perle imparfaite, mais qui n’en est que plus belle.

Sister Midnight Affiche
Rédacteurs :
Résumé

Sister Midnight étudie peut-être l’ennui et la solitude d’un peu trop près dans sa première partie, mais ne cesse ensuite de redoubler d’inventivité, d’humour, d’étrangeté et de magie pour nous offrir un pur bijou de cinéma fantastique et féministe.

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